Les premiers traités français, parvenus jusqu’à nous, attestant de l’usage de l’orange en cuisine datent du XIVe siècle. En ce temps là, les oranges que l’on consomme sont exclusivement amères. On la désigne alors « pomme orange » du nom italien “melarancio” de « mela » pomme et “arancio” oranger ou orange.
Dans le traité bourgeois du Ménagier de Paris (1393-1394), sont proposées 5 recettes sur 400 à base d’orange : des sucreries (orangeat), des jus pour arroser les viandes pouvant être associé avec du vin et de l’eau de rose, du mulet à l’orange et de l’eau de rinçage pour les mains.
On ne peut exclure, que même amère, l’orange ait été consommée crue. Le Platine en Français, de 1505, précise d’ailleurs de les adoucir en les faisant tremper dans de l’eau sucrée, sans leur écorce. Elles sont alors mangées au premier service (crues à priori) afin de limiter les méfaits de leur nature froide sur l’estomac (théorie diététique qui remonte à l’Antiquité). Mais au Moyen Âge, le jus d’orange est souvent associé au poisson (dans la cuisine méditerranéenne) et à la volaille rôtie. Une tradition culinaire qui se poursuivra jusqu’à nos jours, pour ne garder, dans nos livres de cuisine contemporaine, que le seul « canard à l’orange ».
L’association du goût amer avec un édulcorant est appréciée au Moyen Âge (Orangeat confits de Nostradamus en 1555, sauce à l’orange et au miel de Scappi en 1570). Qu’elle soit utilisée dans des mets salés ou sucrées, la froideur des oranges est généralement équilibrée avec l’association d’épices de nature chaudes : cannelle, gingembre, clou de girofle. Prenons pour exemple une recette du Viandier de Taillevent (édition de 1555), de pieds de mouton servis avec une sauce faite de vin merveil (rouge), du bouillon de bœuf, un peu de vinaigre, de la cannelle, de la noix muscade, du romarin haché, des oranges pelées et du sucre « à foison ».
L’usage de l’orange (amère et douce) dans les traités culinaires français destinés à l’aristocratie explose entre 1650 et 1750. La mode de l’orange est concrétisée par la création à Versailles de l’orangerie (dès 1634). Monsieur de Saint-Evremond écrit en 1674, “le sel et l’orange font l’assaisonnement le plus général et naturel”. Dans le nouvel ouvrage de référence de ce siècle, de La Varenne (1651), on note une grande variété de plats : langue de mouton piquée servie avec un jus d’orange, hure de sanglier, rognon de bélier, laitances de carpes frittes servies avec du sel et de l’orange, ou un jus d’orange avec de la muscade, panais avec une sauce de jus d’orange et sel (type vinaigrette), pâté de limande servie avec une sauce blanche au jus d’orange, poulet marinez avec une sauce à l’orange lié au oeufs, membre de mouton à la daube avec des écorces d’oranges dans la sauce, ragoûts d’agneau, d’alouettes, de gras double, de lapereaux, de foie de veau où l’orange est souvent associé avec des câpres, sarcelles à la broche servies avec un jus d’orange, lapereau rôti, mauviette avec une sauce verjus, vinaigre, oignons et écorces d’orange, tout comme pour la longe de veau, la bécasse, le faon de chevreuil, la poularde grasse, le riz de veau frits.
Le jus et l’écorce sont utilisés pour la confection de plusieurs sauces, de la simple vinaigrette à des préparations plus élaborées comme la sauce poivrade (une sauce cuite faite avec vinaigre, sel, oignon ou ciboule, écorce d’orange ou de citron et poivre), que l’on sert sous les viandes.
Encore plus aristocratique, le recueil de Louis-Auguste Bourbon (de 1740) propose l’orange (douce) avec : des filets de canard et autres volailles et lapereaux, du brochet frit, du poulet au jus de canard, des ailerons (de poularde ou de dindon) à la Vénitienne, de l’aloyau à la provençale, du foie gras en crépines, et une sauce perlée où il associe l’orange au champagne, vin blanc, vinaigre, ail et anchois. La bigarade est employée pour la sauce à l’Ivernoise blanche à base de champagne, épices et aromates et zeste de bigarade. Ici, l’orange, produit de luxe, est associée à d’autres mets socialement distinctifs comme le champagne, le foie gras, riz de veau, faon…..