Cuire les asperges suivant son goût, al dente ou molles
L’asperge à tendance à se ramollir si la cuisson est prolongée. Dans le traité d’Apicius (Ie -IIe siècles ap. J.-C.), après avoir coupé le bas du pied blanc pour ne garder que la tige verte, on fait cuire en deux temps les asperges avec un temps de refroidissement entre deux. Ceci afin de les durcir.
Cette préférence pour des asperges al dente est toujours vraie au XVIe siècle. En 1560, Jean Bruyerin-Champier précise bien que les asperges ne supportent pas une longue cuisson. D’où le dicton “plus vite que pour faire cuire une asperge”. La Varenne, en 1651, confirme que les moins cuites sont les meilleures.
En 1655, Nicolas Bonnefons préconise de les faire un peu cuire à l’eau bouillante, puis de les sécher dans un linge. Il les sale pour leur faire prendre goût ou bien il met du sel dans l’eau de cuisson. Il finit la préparation en les laissant cuire un peu dans la sauce à entremet que l’on souhaite. Autre façon de les cuire, on peut aussi les fricasser en les mettant toute crues dans un peu d’eau, du lard, de la graisse, de la moelle ou du beurre. Ou bien encore, on peut les cuire à l’étuvée entre deux plats, avec du bouillon et des coeurs de laitues.
En 1829, Louis-Eustache Audot précise toujours de « les garder croquantes ». Quant au grand cuisinier Jules Gouffé, en 1867, il les pèle et les « ratisse » (gratte), puis il les attache en bottes de 8 à 10 tiges et les cuit à l’eau salée 10 min à « grande eau bouillonnante ». Enfin, il les plonge dans l’eau froide et les égoutte avec soin.
Toutefois, plusieurs recettes les font cuire jusqu’à écrasement comme c’est le cas pour les asperges en petit pois. Découpées en morceaux, elles sont cuites quand elles s’écrasent entre les doigts.
Mille façons d’apprêter les asperges
Dans l’Antiquité, on les aime très grosses et pas trop cuites afin de conserver leur fermeté. On les consomme également crues avec du vinaigre. Cuites, on les mange avec de l’huile et du sel ou bien dans des préparations comme les patinae qui sont des crèmes aux oeufs et aux légumes.
Passées de mode au Moyen Âge, c’est à partir de la seconde moitié du XVIe siècle que les asperges reviennent sur les tables aristocratiques. En Italie, on les mange à la croque au sel et au poivre. Ou bien cuites dans un jus, avec du jambon et des herbes. L’humaniste Bartolomeo Sacchi, en 1505, préconise de les manger au premier service, bien cuites à l’eau avec une vinaigrette faite d’huile, de sel, de vinaigre et d’épices. Cuites dans du vin blanc, elles sont réputées meilleures pour la santé.
Giacomo Castelvetro, un Italien exilé en Angleterre, en 1614, prépare les grosses asperges comme les Italiens. D’abord, ils les badigeonnent bien avec de l’huile, puis ayant répandu une bonne quantité de sel et poivre sur un tranchoir, ils les roulent dans ce sel poivré , puis ils les mettent à griller sur le grill, « et c’est un manger délicat, surtout quand on les arrose de jus d’orange”. En 1560, Bruyerin-Champier, médecin lyonnais, précise que ses contemporains préparent les grosses asperges bouillies dans du bouillon gras et les mangent avec du vinaigre ou avec une vinaigrette.
Si l’on mange toujours les asperges entières en vinaigrette, aux XVIIe et XVIIIe siècles, les recettes se diversifient. La Varenne, en 1651, propose de les cuisiner, fricassées dans une matière grasse (beurre ou lard) ou blanchies, puis mijotées « fort peu » dans de la crème ou du bouillon ou du jus de mouton avec du persil et de la ciboule en bouquet garni si l’on souhaite. Ou bien aussi avec un oignon piqué de girofle et de la noix muscade si l’on préfère. Il les sert ainsi avec une sauce blanche réalisée avec du beurre, un filet de vinaigre, du sel, de la muscade et un jaune d’œuf pour lier. Cet accompagnement sera à la mode durant tous les XVIIIe et XIXe siècles. C’est « la manière de tout le monde » selon Louis Liger, auteur culinaire, en 1761. Elles sont le plus souvent coupées menues ou en petits morceaux. La Varenne les met aussi dans des potages les associant alors avec des champignons et des crêtes de coq, des pistaches, du bouillon de mouton et du citron, des câpres ou bien aussi des carpes.
Cette habitude d’associer les asperges avec des carpes ou de la morue fraîche se retrouve, chez Menon, auteur culinaire, en 1753. Il propose également de cuire les asperges en fagot dans un potage de légumes en julienne.
La mode des asperges en pois vert, se retrouve dans plusieurs livres de cuisine depuis le XVIIe siècle et jusqu’au XIXe siècle. Pour retrouver le goût des petits pois dans cette recette d’asperges, Nicolas Bonnefons, auteur culinaire, en 1655, ajoute à la cuisson, des feuilles de pois vert hachée. Au XIXe siècle, la recette est identique à la préparation des petits pois, avec un cœur de salade, un bouquet de persil, des oignons, du beurre et du sucre.
Au XIXe siècle, peu de choses changent dans la manière de consommer les asperges dans les familles bourgeoises. On les cuisine dans un jus de mouton ou de veau. Jules Gouffé, en 1867, liste dans les recettes pour la Grande cuisine de son livre, les oeufs brouillés aux pointes d’asperges, l’omelette aux pointes d’asperges et la purée d’asperge. Les pointes d’asperges sont seules utilisées dans des plats tels que les côtelettes de pigeons aux pointes d’asperges, l’épigramme d’agneau aux pointes d’asperges, les filets de poulet aux pointes d’asperges, les ris de veau aux pousses d’asperges. Elles sont, alors, l’apanage de la « Grande cuisine », car le coût du plat revient plus cher.
Conserver les asperges pour faire durer le plaisir
Dans l’Antiquité, Columelle, agronome du Ier siècle ap. J.-C. conserve les asperges sauvages du printemps en saumure, dans un liquide composé de 1/3 d’eau salée saturée et 2/3 de vinaigre. Elles sont ensuite plutôt cuisinées en patina, donc bien cuites et associées à un bouquet d’aromates.
La Varenne préconise de conserver les asperges dans un pot avec du beurre fondu, du vinaigre, du sel, du poivre et des clous de girofle. Avant de s’en servir, il faut les dessaler, puis les cuire dans l’eau chaude. Il est préférable de servir ces asperges de conserve en sauce blanche, ou de les utiliser dans des potages, des salades ou en garniture dans des pâtisseries.
En 1761, Louis Liger, préconise de conserver les asperges en eau salée (en saumure), préalablement cuite à demi. À partir de la fin du XVIIIe siècle, avec les progrès de la recherche, on les conserve dans des bocaux en verre stérilisés après les avoir blanchies.
Pour en savoir plus
André Jacques, Apicius, L’art culinaire, Paris, Les Belles Lettres, 2010, 235 p.
Audot Loui-Eustache, La cuisinière de La campagne et de la Ville, ou Nouvelle cuisine économique, 50e éd., Paris, Librairie Audot, 1829, 339 p.
Bruyérin-Champier Jean, L’alimentation de tous les peubles et de tous les temps jusqu’au XVIe s., traduction de Amundsen Sigurd de la 1er édition de 1560, Intermédiaire des chercheurs et curieux, 1998, 667 p.
Dumas Alexandre, Grand dictionnaire de cuisine (1873), Paris, Phébus, 2000, 613 p.
Franklin Alfred, Dictionnaire historique des arts, métiers et professions exercés dans Paris, depuis le treizième siècle, Paris/Leipzig,H. Welter éditeur, 1906, 256 p.
Flandrin J-L et Montanari M., Histoire de l’alimentation, Paris, Fayard,1997.
Pitrat Michel et Foury Claude coord., Histoires de légumes des origines à l’orée du XXIe siècle., Paris, INRA Edition, 2003, p.
Sabban Françoise, Serventi Silvano, La gastronomie à la Renaissance, 100 recettes de France et d’Italie, Paris, Stock, 1997, 314 p.