Du garum au pissalat. Histoire récente du garum.
Contrairement à ce que l’on croit, les sauces de poisson n’ont pas disparu en Europe avec l’Antiquité. On retrouve la fabrication et la consommation de ce condiment entre le garum et l’hallec. dans la cuisine populaire jusqu’à nos jours.
En Gaule, jusqu’au VIIIe siècle ap. J.-C., on note la mention de garum et de liquamen dans les textes. Mais cet assaisonnement semble moins apprécié et pourrait même être utilisé en médecine plus qu’en cuisine. Il est décrié dans l’alimentation par Anthime, médecin grec, entre 508 et 533 (« liquamen ex omni parte prohibemus »). En 716, le diplôme de Chilpéric accorde toujours au monastère de Corbie une certaine quantité de « garum » pour l’alimentation des moines.
Sur les bords de la mer noire, la transformation du poisson et l’extraction du sel sont des industries reconnues à Cherson (Chersonèse Taurique) situé à l’ouest de la péninsule de Crimée qui se sont poursuivies sans interruption de l’époque romaine jusqu’au début du Moyen Âge. Les découvertes archéologiques de cuves à garum sur ces sites de transformation attestent leur utilisation jusqu’aux Xe-XIe siècle ap. J.-C.
La colatura di Alici, sauce d’anchois fabriquée à Cetara au sud de Naples serait produite depuis le XIIIe siècle ap. J.-C. par les moines cisterciens du presbytère de San Pietro à Tuczolo d’Almalfi.
Guillaume Rondelet, médecin de Montpellier, en 1554, décrit un tout petit poisson, nommé picarel en Languedoc et en Espagne dont on fait de « très bonne sauce en le mettant en saumure comme on l’appelait dans l’ancien temps le garum ». À la même époque, le naturaliste Pierre Belon rapporte que l’on fait du garum en Turquie avec les tripes et les ouïes détaillées des maquereaux et autres poissons frais qui sont vendent frits. Les déchets sont eux mis en saumure pour faire du garum.
Dans le tableau du maximum de Menton qui fixe les prix de vente en 1793, on trouve des anchois dits pissalat en baril. Le pissalat est toujours une spécialité niçoise. Les recettes sont aussi nombreuses que les familles qui en préparent. On trouve la recette dans L’inventaire du patrimoine culinaire de la France. Elle se fait avec de la poutine habillée (gros alvins de plus de 2 cm), la petite « palaille » (sardine entre la poutine et la sardinettes d’environ 5 cm). Elle est de préférence confectionnée avec « des sardines mais certain y laisse les anchois qui se sont mélanger en prenant soin de sortir la tête et les intestins qui donne de l’amertume et rendent beaucoup d’eau». Les petits poissons sont mis au sel et suivant les recettes on ajoute du clou de girofle, du thym, du quatre-épices et un peu de poivre, du laurier, de la noix muscade, de la marjolaine ou du l’origan. On tourne la mixture quelques minutes tous les jours pendant 15 jours à 45 jours. Le mélets de Martigues est aussi un pissalat confectionné avec uniquement des anchois de 4 à 8 cm et du fenouil. Cette recette semble une évolution de l’hallec antique.
Il est rare de pouvoir suivre l’histoire et l’évolution d’un produit alimentaire depuis la protohistoire jusque’à nos jours. Le garum fait parti de ces produits. On reste frustré de certains détails de fabrication entre le garum, le liquamen et l’hallec mais la recherche apportera, dans l’avenir, de nouvelles données qui préciseront peut-être les ingrédients de chaque sauces. L’enquête continue…
Pour en savoir plus
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