Le colloque organisé par la chaire UNESCO « Culture et Traditions du vin », dépendante de l’Université de Bourgogne, a réuni des chercheurs de tous horizons aussi bien géographiques (France, Chine, Canada, Australie…) que scientifiques (historiens, archéologues, géographes, statisticiens, sémioticiens, ethnographes, professeurs en marketing et en communication…)
Voici quelques morceaux choisis de ces deux jours de conférences et de discutions consacrés à l’histoire du vin et à son avenir.
Boire du vin : bon ou mauvais pour la santé ?
Boire du vin à tout âge et à tout moment remonte aux origines de la vinification. Les médecins des temps anciens le conseillent car le vin passe pour une boisson salvatrice pour la santé. « Le vin donne au corps une bonne nourriture et lui rend la santé si on le prend comme il convient, avec modération. » (Pierre de Crescens, 1373). Cette idée résiste jusqu’au XXe siècle.
On estime, au Moyen Âge, la consommation journalière de vin, par personne, entre 1,5 et 2 l. Mais ce sont des boissons de 7 à 8° d’alcool que l’on consomme pour se désaltérer et s’assurer une bonne santé.
Encore et toujours, au XIXe siècle, en Australie (alors colonie britannique), les vins français sont considérés comme un produit civilisateur et sain pour la santé. Une analyse comparative suffit à le démontrer : les Français de cette époque sont en meilleure santé que les Britanniques ! (Mikaël Pierre). Au même moment, en France, il y a un vrai problème d’alcoolisme (dû à la consommation d’alcool fort) qui va desservir l’image du vin. Les ligues antialcooliques font pression et on n’ose plus vanter les mérites du vin. Toutefois, en 1840, on boit encore 80 l. de vin par an et par personne (en comparaison, en 2017, notre consommation annuelle est de 39 l./an par personne).
Au début du XXe siècle, la réputation du vin s’améliore. Il redevient une boisson à apprécier ! Ce sont ses qualités gustatives qui sont dès lors valorisées. On apprécie de le boire en petit comité, dans une ambiance conviviale, sans tabac, sans musique. Louis Forest (journaliste, essayiste, 1872-1933) précise d’ailleurs qu’il n’est pas pour les jeunes qui sont trop novices, ni pour les vieux qui ont trop de faiblesses d’estomacs, encore moins pour les femmes qui parlent trop en buvant (Laure Ménétrier). En 1920, la consommation de vin atteint 148 litres par an et par personne. En 1950, le vin est redevenu source de santé ! De nombreuses communes n’ont pas l’eau courante. Les levures des vins tuent certaines bactéries, on est donc persuadé du bien fait du vin pour la santé. On consomme des vins dits de soif à 7°. En moyenne les vins des années 50 atteignent 10°, avec quelques vins de luxe à 14°. Le vin est sur la table des cantines scolaires jusqu’en 1956. Puis les ligues contre l’alcoolisme montent, de nouveau, aux créneaux pour casser cette bonne image du vin. Désormais, il est plus convenable de promouvoir le lait comme boisson pour les enfants (Didier Nourrisson).
Apprécier le vin
Déjà, au Moyen Âge, on déguste le vin. Les textes d’archives et les enluminures, nous montrent comment on taste le vin : en observant sa couleur dans des verres à pied, en verre, en notant son odeur, en « mâchant » le vin (Bruno Laurioux). On classe le vin suivant sa couleur : rouge ou vermeil, blanc, clairet (un vin rouge clair). On les qualifie de vert, froid, poignant, fort, moite, serré, de bonne ou de mauvaise qualité. On distingue leur appellation par les régions ou les villes de provenance, mais pas encore par les terroirs. On trouve ainsi des vins Franchois (du Pays de France actuelle île de France), de Bourgogne, de Provence, de Gascogne (le Bordelais), des vins d’Auxerre, de Toulouse… (Guilhem Ferrand et Jean-Pierre Garcia). En Bourgogne, l’avènement des « climats » (détermination par le terroir où pousse la vigne) date du XVIIe siècle et surtout du XVIIIe siècle.
Même si l’on préfère les vins jeunes, au Moyen Âge, les vins vieux sont appréciés, mais ne sont pas plus valorisés qu’un vin nouveau (leur prix est équivalent). Un vin devient vieux après Pâques et les vins de plus d’un an devaient être rares. En revanche, au XVIIIe siècle, un vin vieux peut atteindre 20 ans (Anik Buj). Le goût pour le vin vieilli, pousse à user de stratagèmes pour diminuer le temps du vieillissement. À cette fin, au XIXe siècle, on embarque les tonneaux dans les soutes des bateaux faisant la traversée (aller-retour) vers les Indes (Denis Saillard). Cette méthode permet de casser le tanin et d’arrondir les vins plus vite.
C’est dans les années 1927, que l’on établi les règles des bonnes manières de boire du vin, encore en vigueur aujourd’hui : du plus léger au plus lourd, du blanc sec au blanc moelleux, du plus jeune au plus vieux. Il ne faut pas plus de 3 à 4 vins à déguster en même temps : un blanc sec, un blanc aromatique, un rouge léger, un rouge plus lourd (Laure Ménétrier).
Accorder le vin au plat.
L’accord met et vin se met en place, dans les grands restaurants, dans les années 1912-1935, sous l’impulsion des clubs de gastronomes (Académie du vin de France ou Le club des cent) (Jean-Robert Pitte). Auparavant, au XIXe siècle, l’habitude est de mettre sur la table, lors des grands repas, plusieurs bouteilles de toutes les couleurs de vin. Les convives peuvent ainsi choisir celui qu’ils veulent. Plus loin encore, au Moyen Âge, on trouve, dans les archives, des listes de plats à préparer pour un menu de banquet et des listes de vins à y servir. On connaît même, pour le XVe siècle, un premier menu alternant les plats et les vins (Jean-Robert Pitte).
Mais ce sont les membres du Club des Cents qui les premiers, initient les accords mets et vins. Ce Club réunit 100 automobilistes issus, à cette époque, de la haute société pouvant acquérir une automobile. Ils élaborent un classement des meilleures tables de France où ils peuvent se régaler lors de leurs voyages. En 1926, au Chapon fin de Bordeaux, se déroulent le premier repas accordant le vin au met. Pour accompagner chaque plat, on propose le vin qui semble le plus en harmonie. La mode est lancée !
Dans l’entre-deux guerres (1920-1940), en France, les gastronomes prônent la dégustation des vins avec le fromage (Laure Ménétrier). Les Anglais arrivent à nous persuader de boire des vins liquoreux avec le fromage (Jean-Robert Pitte). Chacun établit ses certitudes sur les accords les plus évidents tels : ce sont les vins du terroir qui s’accordent le mieux aux spécialités culinaires du même terroir.
Les études statistiques, basées sur l’analyse sensorielle, dégagent aujourd’hui des vérités plus scientifiques. Elles montrent que le fromage améliore le goût des vins. Alors que le contraire est sans effet. Ainsi, chimiquement, l’astringence d’un vin diminue avec le gras d’un fromage. De même, on note que le goût des fruits rouges d’un vin augmente lorsque on le boit avec du fromage. Une étude récente constate que les accords les plus appréciés sont : un époisses avec un Pouilly ou un Madiran. En revanche, éviter de manger du comté avec un vin rouge, mais préférer le déguster avec un Sancerre (blanc) (Pascal Schlich).
Et voilà, bientôt, la science va établir les nouvelles règles du bien manger et du bien boire pour un maximum de plaisir !
Communicants cités dans l’article :
Anik Buj, Professeur au lycée hôtelier René Auffray, Clichy
Guilhem Ferrand, Université Toulouse Jean-Jaurès
Jean-Pierre Garcia, Université de Bourgogne
Bruno Laurioux, Université de Tours
Laure Ménétrier, Musées de Beaune
Didier Nourrisson, Université Claude Bernard Lyon I
Mikaël Pierre, Université of Newcastle, Australie- Université François Rabelais de Tours
Jean-Robert Pitte, Université Paris Sorbonne, Académie des Sciences Morales et Politiques, président de la Mission Française du patrimoine et des Cultures Alimentaires
Denis Saillard, Centre d’Histoire des Sociétés Contemporaines, Université de Versailles
Pascal Schlich, INRA – Centre des Sciences du Goût et de l’Alimentation de Dijon