De la bouillie ou du pain
Le sens de bouillie est très souvent associé à une cuisine pauvre, rustique, peu élaborée, car elle est opposé, depuis l’Antiquité, au pain. Le pain est lui aliment noble, élaboré, civilisé. La découverte des blés panifiables (vers la fin du Ve siècle av. J.-C.) permet sa confection. Depuis la fin du IIIe ,siècle av. J.-C. ou le début du IIe siècle av. J.-C., le pain devient la nourriture principale des hommes en Italie comme en Gaule.
Dans notre esprit du XXIe siècle imprégnés sans le savoir des écrits des citoyens romains éduqués, le pain déprécie la bouillie rustique. Il est temps de réhabiliter ce plat simple mais goûteux!
Un plat complet nourrissant et vertueux pour la santé.
Étant très nourrissante, les intellectuels romains (notamment Pline) considèrent la bouillie (à la farine ou aux grains) comme un plat pour les paysans et les pauvres de la ville. Toutefois, dans le très aristocratique traité culinaire d’Apicius, on trouve 5 recettes de bouillie plutôt élaborées, enrichies en ingrédients et en saveurs.
Au Moyen Âge, les recettes de bouillie sont peu nombreuses dans les livres. Toutefois, les textes culinaires font référence à la bouillie pour préciser la consistance d’une préparation. La pâte à gaufre du Ménagier de Paris, en 1394, doit avoir “la consistance d’une bouillie liquide”. Lancelot de Casteau, en 1604, réalise une crème aux oeufs dont il brise la “pâte avec une cuillère de façon à obtenir une bouillie épaisse”. Ces comparaisons assez fréquentes, laissent envisager un plat populaire que savaient réaliser toutes les cuisinières et tous les cuisiniers.
De plus, les médecins recommandent la bouillie pour la santé. Ainsi, il est préconisé de cuire le millet ou le riz dans du lait de chèvre pour calmer la dysenterie. De même la bouillie d’avoine cuite dans un bon bouillon de viande a des vertus diurétiques. En 1772, le Dictionnaire portatif de cuisine préconise pour les estomacs fragiles de faire la bouillie avec de la mie de pain bien cuite ou de la farine de grains préalablement torréfiés.
La bouillie des campagnes simple et rapide.
Au début du XIXe siècle et jusqu’aux années 1870, dans les campagnes du Berry comme ailleurs, la bouillie est encore un plat que l’on sert régulièrement. Un poêlon ou une casserole à long manche, avec sa cuiller ou cuilleron de bois sont spécialement réservés pour sa réalisation.
Ce qu’il faut surtout retenir, c’est que la bouillie reste un plat populaire car il est rapide à réaliser pour une cuisinière fort occupée aux tâches quotidiennes. En quelques dizaines de minutes, en jetant la farine, le gruau ou le grain (préalablement délayée dans de l’eau froide) dans de l’eau chaude, on prépare un plat complet et délicieux. La bouillie de nos ancêtres c’est un peu la purée mousseline de nos contemporains!
Pour en savoir plus
Apicius, L’art culinaire, Paris, Les Belles Lettres, 2010, p.235 n°174, p. 202, p.183-185.
Desquand Agnès, Boire et manger en Sancerrois au temps de la cuisine à l’âtre, Bourges, Imprimerie Desquand, 1977, 548 p.
Dupont Florence, « Grammaire de l’alimentation et des repas romains » dans Histoire de l’alimentation, Fayard, 1996, p.197-214.
Flandrin J.-L., « L’alimentation paysanne en économie de subsistance » dans Histoire de l’alimentation, Fayard, 1996, p.593-627.
Flandrin Jean-Louis, « Problèmes, sources et méthodes d’une histoire des pratiques et des goûts régionaux avant le XIXe siècle » dans Alimentation et régions, Actes du colloque « cuisine, régimes alimentaires, espace régionaux, Nancy, Presses Universitaires de Nancy, 1989, p. 347-360.