À la recherche du premier bouquet garni.
Pour les périodes très anciennes, même si les aromates indigènes sont naturellement présentes dans les assemblages floraux trouvés sur quelques sites archéologiques, l’idée la plus répandue est que les hommes et les femmes de la préhistoire ont recherché et privilégié avant tout les aliments pour leur potentiel énergétique plutôt que pour leur goût. Alors depuis quand le plaisir de manger passe t-il par le goût ?
Il est vrai que le nombre très faible d’échantillons analysés rend difficile la preuve d’un usage culinaire des plantes aromatiques. Depuis quelques années, toutefois, de nouvelles techniques d’analyses permettent de déterminer la nature des dépôts conservés sur les parois des fragments de céramique retrouvés par les archéologues. On peut ainsi confirmer, l’usage culinaire des végétaux étudiés. La recherche de phytolithes dans ses dépôts carbonisés, dans la préhistoire, a été appliquée avec succès pour comprendre le régime alimentaire et l’utilisation des plantes dans de nombreuses parties du monde. Il est maintenant établi que l’habitude d’améliorer et de modifier la saveur des calories riches faisaient partie de la cuisine dès -4150/-3950 av. notre ère. Parmi les herbes aromatiques reconnues par l’archéologie, on trouve la coriandre et le cumin sur les sites du Moyen-Orient, l’aneth et l’herbe à ail en Europe. Les données archéologiques restent pour l’instant insuffisantes pour connaître les associations de saveurs de ces périodes très anciennes.
Il faut se tourner vers les seuls textes de la pratique qui sont parvenus jusqu’à nous, les tablettes cunéiforme de Mésopotamie. Les plus complets sont les recettes des Tablettes de Yales datant de -1600 av. notre ère. Le terme de bouquet garni n’est pas noté, mais les recettes nous précisent les associations de goûts. L’ail et le poireau est la base ou l’oignon et le samidu (?). On peut ajouter aux plats le halazzu (?) dont « quelques fleurs suffise » ; la cuscute, une plante parasite qu’on trouve notamment dans les champs de lin ; la menthe ; le cumin ; l’aneth ; la coriandre ; la roquette ; la rue et le zurumu (?).
Et en Gaule…
Plus prés de nous, en Gaule, les textes écris de cuisine sont inexistants durant la Protohistoire. Nous ne connaissons donc pas le bouquet garni gaulois. Mais en recoupant les textes des grecs et des latins qui parlent des gaulois, les quelques mots écris gaulois retrouvés par ci par là, les études carpologiques (les graines) et palynologiques (les pollens) sur certains sites archéologiques, nous avons quelques informations sur les herbes aromatiques utilisées dans la cuisine gauloise. Le cumin est cité par Posidonios d’Apamée (135/137 à 50/57 av. notre ère) lui-même cité par Athénée (grammairien grec des II-IIIe s. ap. notre ère). Rarement écrite, la langue gauloise s’est perdue. Quelques inscriptions, la transmission par les auteurs grecs et latins, les noms de lieux nous donnent quelques mots de plantes aromatiques : ail, quintefeuille, menthe, serpolet, estragon. Les études archéologiques, lorsque le milieu de conservation est propice, est riche en données. Sur le site de Saint-Roch à Toulouse, les traces d’aneth, de céleri, de coriandre et de moutarde noire ont été reconnues pour la période 150 à 100 av. notre ère (second âge du Fer).
Le goût du bouquet de l’Antiquité.
Parmi les herbes qu’il cultive dans son jardin Columelle cite au I er siècle ap. notre ère : le cerfeuil, l’ail, l’oignon, la menthe, l’aneth, la rue, la ache verte ou livèche, le poireaux, la marjolaine, la myrrhe, la sarriette, la coriandre, le basilic et la roquette.
Mais il faut lire L’art culinaire, pour connaître l’association des saveurs aromatiques dans la cuisine de l’Antiquité. L’ouvrage attribué à Apicius indique la réalisation de bouquets aromatiques que l’on met dans le plat en cours de cuisson. Ces bouquets sont soit jetés après cuisson, soit pilés dans un mortier avant de les remettre dans le plat. On trouve ainsi le bouquet poireau et coriandre auquel on peut ajouter de la sarriette ou de l’aneth ou les deux. On trouve également poireau, coriandre, rue et origan. Dans l’Antiquité, on cultive un poireau perpétuel dont on n’utilise que les feuilles qui repoussent perpétuellement. C’est probablement les fines feuilles de ce poireau que l’on met dans les bouquets.
À la fin du Ve siècle, les recettes de Vinidarius, toujours dans L’art culinaire, gardent toujours les palettes aromatiques de l’Antiquité. L’association livèche /origan, livèche/coriandre, coriandre/origan, coriandre/poireau sont assez basiques.
En revanche, de nouvelles saveurs entre dans la cuisine d’Anthime (médecin) au VIe siècle. Si son bouquet garni se compose de poireau, coriandre, aneth et céleri qu’il ajoute nous dit-il « à n’importe quel aliment que l’on fait cuire », Il peut y introduire de la menthe, de la pouliot (une menthe corsée) et deux aromates nouvelles en cuisine le persil et la sauge. Dans l’Antiquité, ces deux herbes ne font pas partie de la palette aromatique des cuisiniers. Elles sont introduites comme aromatique en cuisine durant les VIe -IXe siècles.
Pour en savoir plus
André Jacques, L’Alimentation et la cuisine à Rome, Études anciennes, Paris, Les Belles Lettres, 2009, 252 p.
Bottéro Jean, La plus vieille cuisine du monde, Paris, éd. Points Histoire, 2006, 199 p.
Deroux Carl. Anthime, « un médecin gourmet du début des temps mérovingiens ». In: Revue belge de philologie et d’histoire, tome 80, fasc. 4, 2002, pp. 1107-1124.
Flouest Anne et Romac Jean-Paul, La cuisine gauloise continue, Saint-Pourçain-sur-Sioule, Bibracte et Bleu autour, 2006, 253 p.
Flouest Anne et Romac Jean-Paul, La cuisine néolithique et la grotte de La Molle-Pierre, Paris, Jean-Paul Rocher éd., 2007, 235 p.
Verrier Guillaume, Alcantara Aurélien, Gasc Julie, Lemaire Alexandre, Meunier Emmanuelle, Hallavant Charlotte et al.. Toulouse, ZAC Niel (31), Rapport de fouille, Toulouse, Archeodunum, 2016, pp.7820.
Saul Hayley, Madella Marco, Fischer Anders, Glykou Aikaterini, Hartz Sönke, E. Craig Oliver, Phytoliths in Pottery Reveal the use of spice in European Prehistoric cuisine, Janet M. Monge, University of Pennsylvania, United States of America Received, February 2013.