Venu d’Asie, le millet colonise la Gaule.
La culture du millet venue d’Asie est très ancienne en Gaule. On la reconnait, sur les sites archéologiques de la moitié ouest de la France dès le Néolithique ancien/moyen (5000 à 3400 av. J.-C.). Le développement du millet dans la région du Sud-Ouest à ces époques anciennes serait une influence de l’Est de la France. Avec les blés nus (Triticum nudum) et l’orge vêtue (Hordeum vulgare), le millet commun (Panicum miliaceum) et le millet des oiseaux (Setaria italica) sont les céréales les plus fréquentes sur les sites archéologiques du Sud-Ouest à l’âge du Bronze et à l’âge du Fer.
Stabon (Historien et géographe grec, 63 av. J.-C. – 25 ap. J.-C.) écrit : “le millet est la plus sûre ressource contre la famine du fait qu’il supporte toutes les circonstances atmosphériques et ne risque jamais de manquer, même en cas de pénurie de tous les autres produits alimentaires”. Columelle (agronome latin, 4 à 70 ap. J.-C.) confirme que la céréale mûrît rapidement en climat froid et supporte bien la sécheresse. Elle est plantée dans toute la Gaule. Pline l’Ancien (historien, 23/24 – 79 ap) précise que les gaulois font du pain avec du millet (bouillie solide en pain ?).
Mais c’est pour la réalisation de bouillies liquides que le millet est largement utilisé. La consommation de bouillie de millet est bien attestée par les découvertes, par exemple, de pots à cuire du Ier siècle ap. J.-C. contenant des restes carbonisés recueillis dans la Saône. Le millet dans la consommation alimentaire semble plus important que ne le laisse penser les textes.
Le Moyen Âge fait la part belle au millet.
Dans la cuisine du Ve-VIe s. ap. J.-C., la bouillie de millet est recommandée pour la santé.
Ainsi, il est préconisé de cuire le millet dans du lait de chèvre pour que les bouillies soient bonnes pour la dysenterie. Au milieu Ve s. ap. J.-C. à Saint-Séverin de Cologne, dans une tombe, on a trouvé en offrande un gobelet de bouillie de millet sucrée au miel et enrichie de graisse animale.
Au Moyen Âge, on trouve le millet dans les textes (Anthime, médecin, fin Ve s. – début VIe si.), le langage des signes des moines de Cluny (en 1075, 1083), sur le sites archéologiques. Si il apparait comme une céréale secondaire dans l’est et le nord de la France (7% à Charavigne en 1003-1035), le millet reste longtemps une céréale consommée dans le Sud-Ouest de la France. Les études carpologiques montrent que le millet constitue entre 14 et 20 % des céréales sur les sites archéologiques. Il entre également dans de nombreuses redevances exigées aux paysans dans les landes de l’ouest du Bordelais, en Béarn et dans le comté de Bigorre.
L’apothicaire Jacques Melior de Montauban, en 1360, en stocke dans sa boutique. En 1451, Gilles Le Bouvier dans son Livre de la description des pays précise que l’on mange en Aquitaine du pain de millet. Dans tout le Sud-Ouest, on fabriquait une bouillies solide, un peu âpre, qui remplace le pain de blé : le milhade ou la millasse.
Dans le livre de cuisine du Ménagier de Paris, en 1391, la préparation du millet est précisée. Il faut laver trois fois les grains, les sécher à la poêle et les faire épaissir dans du lait de vache. Batholomeo Sacchi dit Platine au XVe siècle le préfère cuit dans du lait de chèvre. Il donne aussi une recette de tourte de millet ressemblant fort au millas gascon.
Une spécialité du Sud-Ouest à l’époque moderne.
Le millet est consommé partout en France encore à l’époque moderne. On trouve par exemple le gaulderye à Dijon, au XVIe siècle, une pâtisserie à base de miel et de farine de millet. Jean Bruyerin-Champier (médecin lyonnais) en 1560, n’apprécie pas le goût de la bouillie de millet, attestant ainsi la consommation de bouillies de millet dans la région : “c’est un ragoût qui ne peut plaire aux gourmets et a ceux dont l’estomac n’est pas aux abois”.
Mais les écrits des observateurs étrangers notent souvent la consommation de millet comme une caractéristique de l’alimentation des peuples du Sud-Ouest. En 1606, Joseph du Chesne (médecin) liste les « nourritures » des paysans gascons à base de millet : le millas, pâte de farine de millet et eau salée, fermentée, cuite au four comme le pain ; les miques, même pâte en petite boules cuites à l’eau ; les braizes pains carrés enveloppés de feuilles de choux et cuits dans la braise ; les armotes, une bouillie salée de farine de millet. En Gironde, en 1607 et en 1796, en trouve aussi la cruchade, une bouillie de millet solide, refroidie et découpée en tranche pour être frite à l’huile ou au lard.
Mais déjà en 1722, Pierre Prion un voyageur de passage à Toulouse, remarque que les gens du petit peuple se nourrissent “qu’avec de la bouillie faite avec de la farine de gros millet” et que “c’est un met très friand pour eux”. De même, en 1796, Grasset de Saint-Sauveur (écrivain) remarque chez les paysans aquitains : “leurs ustensiles de cuisine consistent dans un ou deux poêlons, qui leur sert à frire leur lard et à faire des cruchades, pâte frite avec de la farine de blé d’Inde ou de millet”. Depuis la seconde moitié du XVIIe siècle, le maïs venu d’Amérique, appelle blé d’Inde, blé de Turquie, blé de Bigorre, nouveau millet, gros millet ou millet d’Espagne, détrône peu à peu le millet, céréale traditionnelle du Sud-Ouest.
Pour en savoir plus
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