On peut réaliser une bouillie de céréale avec des grains concassés, de la semoule, du gruau, de la farine et même du pain que l’on cuit à l’eau, au lait ou dans un bouillon. La consistance du plat peut aller de liquide à épaisse que l’on étale sur une assiette pour la faire prendre en refroidissant.
La pul de l’Antiquité aux multiples ingrédients
La bouillie (pul en latin) la plus célèbre pour l’Antiquité est la pul punica dont la recette est donnée par Caton l’Ancien (écrivain romain, 234-149 av. J.-C.). Elle est faite de farine délayée dans l’eau à laquelle on ajoute du fromage frais, sucrée au miel et liée avec un oeuf. Pline l’Ancien (naturaliste romain, 23 – 79 ap. J.-C.) nous rapporte une spécialité étrusque : la pul fabata (bouillie de fève). Les fèves et les pois, dans l’Antiquité, étaient aussi consommés en farine et cuits à l’eau. On peut également mélanger les céréales : orge et millet par exemple. Pour Pline, la bouillie est meilleure quand les grains sont encore tendres. Le traité culinaire d’Apicius, propose 5 recettes de bouillie comprenant des aromates (fenouil) et des épices (poivre, sel), du garum (saumure de poisson), du miel, de l’huile d’olive, de la viande ou de la cervelle. D’autres recettes ajoutent des légumineuses (fèves, lentilles, pois chiches) des œufs, du fromage, du lait (Caton), des aromates (poireau, coriandre, fenouil, bette, mauve, pousse tendre de choux). Le texte d’Apicius mentionne dans sa batterie de cuisine « une assiette pour étaler une bouillie épaisse qui doit prendre en refroidissant ». D’autres préparations sont liquides et destinées à être bues.
La bouillie du Moyen Âge aux céréales variées
Le Ménagier de Paris, traité culinaire bourgeois de 1390, ne dédaigne pas la bouillie de millet cuite dans du lait de chèvre ou du lait de vache. Dans le Viandier de 1486, on trouve une recette de bouillie à l’orge mondée. Après une première cuisson, on broie le grain au mortier et on le fait cuire une seconde fois dans du lait d’amande. Cette recette peut aussi se faire avec le grain entier. La recette au grain broyé est traitée plus comme une crème, sucrée pour les malades ou légèrement salée. Alors que celle au grain entier est complétée avec de la graisse de veau ou du boeuf haché, de l’oignon bien menu et des épices (gingembre, safran, cannelle et verjus). La recette de la fromentée, très courante au Moyen Âge, est également une bouillie de grains de froment ou d’épeautre cuite dans du lait et jaunie à l’oeuf assaisonnée de gingembre, sucre et safran.
Sous l’Ancien régime, les recettes se normalisent
Avec le changement des goûts culinaires à partir de la seconde moitié du XVIIe siècle, la bouillie se limite peu à peu à une préparation basique de farine épaissie dans un liquide.
Sous l’Ancien régime, la bouillie reste un plat préparé dans toutes les régions de France avec les céréales cultivées localement. Prenons pour exemple les écrits de Joseph du Chesne, en 1606, qui rapporte les différents usages de la farine de millet en Gascogne. La bouillie de farine de millet juste salée est dite l’armote et la cruchade est une bouillie de millet épaisse étalée et refroidie que l’on découpe en tranche pour être frite à l’huile ou au lard. On trouve les mêmes recettes en Bretagne, réalisées à la farine d’avoine puis plus tard au sarrasin que l’on appelle yonkerch’. Ces recettes populaires se retrouvent dans toutes les régions sous des appellations diverses. Seule la céréale employée pour les réaliser change.
Elle reste un plat consommé par tous : paysans, ouvriers, bourgeois et aristocrates. Ainsi, le dictionnaire portatif de cuisine en 1772, nous donne une recette, celle d’une bouillie servie en collation réalisée avec de la farine, du lait, de la crème et du sucre. Une fois cuite cette bouillie est mise pour moitié dans un plat et sur le feu pour la faire gratinée. Puis, on recouvre de la seconde moitié le plat et l’on fait roussir la surface avec la pelle à feu.
Et le maïs s’impose!
Le maïs importé en Espagne par Pizarre, en 1532, passe les Pyrénées vers le milieu du siècle et gagne peu à peu la vallée de la Garonne. Dans l’est de la France, c’est par l’Italie du Nord qu’il est introduit. Cette céréale venue des Amériques s’impose lentement mais sûrement sous l’appellation blé de Turquie ou gros millet. Déjà, en 1560, Bruyerin-Champier (médecin lyonnais) note qu’on en fait pousser à Villeurbanne avec succès. En 1607, le Thrésor de santé précise qu’avec le blé de Turquie, on prépare du gruau dans les régions du Sud-Ouest que l’on fait cuire avec de l’eau comme la fromentée. Le maïs est attesté au début du XVIIe siècle en Bresse. En Aquitaine, les exportations massives de froment vers les colonies des Antilles, entrainent une production accrue du maïs dès la fin du XVIIe siècle. En 1700, le maïs est attesté à Tarbes et dans tout le Béarn. Au XVIIIe siècle, on le trouve cultivé en Savoie, en Saintonge et dans les Hautes-Pyrénées. Dès lors, l’usage du maïs pour les préparations de bouillies se généralise et détrône les céréales traditionnelles.
La diversité des bouillies du 19e siècle.
Au XIXe siècle, dans les campagnes du Berry, notamment, on parle aussi de bouillie de châtaigne, de citrouille ou de tapioca (racine de manioc) pour les soupes sans pain trempé. La plus classique reste toutefois, à cette époque, la bouillie de froment. On la réalise en délayant de la farine avec du lait froid, puis on ajoute du lait chaud ou bouillant, souvent coupé d’eau salée. On met le tout sur le feu pour « faire prendre ». Il faut remuer sens cesse la préparation pour ne pas qu’elle accroche trop au fond de la casserole. Mais on aime bien qu’elle « gratine » ou brûle un peu au fond, pour le goût que cela donne à la bouillie. On ajoute pour les enfants du beurre ou de la crème.
En Provence, la brigadéu est une soupe à la farine d’épeautre cuite avec des oignons, un morceau de porc ou de mouton et des herbes aromatiques. Cette bouillie est tournée avec un bâton de laurier pour le goût. On cesse de tourner quand le bâton « tient tout seul ». On arrose d’huile d’olive et on mange.
Pour apprécier l’escoton béarnais, une bouillie de maïs, il faut faire un puits au centre de sa bouillie et y verser une préparation d’oignons frits dans de la graisse de jambon. Ensuite la dégustation peut commencer en raclant les bords avec sa cuillère et en trempant dans la sauce aux oignons le contenu tout en évitant d’écrouler le puits.
À l’époque de la préparation du cochon, dans le Béarn, on cuit la broye dans le bouillon où à cuit le boudin. On obtient une bouillie de couleur brune et fort épicée.
À la fin du XIXe siècle, les ingrédients à bouillie se multiplier. Alexandre Dumas (1873) écrit que la bouillie est « un espèce de potage composé de farine de blé ou de fécule que l’on fait cuire dans du lait ou dans du bouillon ou dans une émulsion d’amandes. C’est la nourriture des petits enfants. Avec la fécule de pomme de terre, elle est plus légère et la cuisson en est la plus rapide. On en fait de toutes les farines : sagou (palmier sagoutier), salep (tubercule d’Orchis), tapioca, arrow-root (rhizome de la maranta), orge, épeautre. Celle à la farine d’avoine est dite gruau. Celle à la mie de pain est dite panade. On y ajoute du beurre en fin de cuisson pour qu’elle soit plus suave. La farine de froment est préalablement séchée au four jusqu’à être légèrement roussie pour la rendre plus alimentaire”.
Dans l’Encyclopédie de la ménagère de 1926, la bouillie est surtout sucrée, faite à l’eau ou au lait. Elle est dès lors présentée comme un aliment pour adulte au régime ou pour petit enfant.
Pour en savoir plus
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