Les historiens situent la naissance de Gavius Apicius en 25 av. notre ère et sa mort vers 37 ap. notre ère. Ce riche citoyen romain est un proche de la famille impériale de Tibère, un ami de son fils. On ne sait d’où lui vient sa fortune, mais les auteurs antiques ne cessent de dénoncer sa manière de la dépenser. Fameux gastronome, il attire la critique par ses excentricités culinaires souvent dispendieuses. On lui doit un certain nombre de recettes de son invention, les plus extravagantes ont fait sa réputation : talons de chameaux, langues de rossignols, crêtes de coqs…
Apicius a expérimenté, testé et très probablement rédigé ses recettes. On lui attribue, aujourd’hui, deux ouvrages culinaires disparus, l’un sur les sauces et l’autre sur les plats complets. Ce dernier était illustré pour plus de pédagogie.
Mais l’ouvrage l’Art culinaire qui de tout temps lui est attribué, est en fait une compilation de recettes datées des Ier et IIe siècles.
Un ouvrage de référence pour les historiens.
Le manuscrit le plus ancien connu est une copie des années 400. Ce recueil comprend, les recettes des deux ouvrages disparus d’Apicius réorganisées dans des chapitres différents, des ajouts de nouvelles recettes d’auteurs inconnus, des recettes grecques traduites en latin, des prescriptions et recettes médicales dont deux de Varron. Cette dernière spécificité laisse penser aux historiens que la compilation est due à un médecin.
Dans une autre copie des VIIe – VIIIe siècles (le Parisinus latinus de Saumaize) se rajoutent les « Extraits d’Apicius faits par Vinidarius ». Il s’agit de 31 recettes supplémentaires attribuées à Apicius, mais rédigées par un auteur, peut-être un germain du nord de l’Italie, à la fin du Ve ou au VIe siècle.
Enfin, pour compliquer la tâche des historiens, tous ces manuscrits sont parvenus jusqu’à nous grâce à une copie imprimée à Venise en 1498, elles-mêmes formées à partir d’une copie manuscrite du IXe siècle dont deux exemplaires seulement sont conservés, une au Vatican et la seconde à New York.
L’histoire de cet ouvrage reconstituée par les philologues nous montre d’un autre regard ce traité culinaire de 495 recettes. Nous avons avec l’Art culinaire, la « bible de la gastronomie antique » qui nous rapporte des goûts et des pratiques de l’Antiquité depuis le Ier siècle jusqu’à la fin du IIe siècle et même jusqu’au VIe siècle.
Si ce traité était destiné à l’aristocratie ou en tout cas à des lettrés, laissant penser que nous avons là une cuisine des classes sociales aisées, le recueil ne néglige pas des recettes plus populaires comme les bouillies, la patina quotidienne ou les « sucreries faites à la maison », ni les méthodes de conservation des aliments ou les astuces pour accommoder les restes. L’alimentation aristocratique se recoupe par moments avec celle du peuple.
Le contenu du livre
Le manuscrit d’Apicius est divisé en dix chapitres nommés « Livre » qui se composent ainsi :
Livre I – Le cuisinier diligent : conservation des aliments, recettes de vins, de sauces, diverses astuces de cuisine.
Livre II – Les hachis : quenelles, boudins et saucisses.
Livre III – Le jardinier : recettes de légumes.
Livre IV – Plats divers : patinae, minutales, crèmes, entrées.
Livre V – Légumes à graines : recettes de bouillies, recettes de légumineuses.
Livre VI – Le volailler : Sauces pour la volaille et les oiseaux .
Livre VII – Le cuisinier somptueux : Recettes de ragoûts et rôtis de viande, sauces, sucreries, recettes de champignons, de truffes, escargots, oeufs.
Livre VIII – Les quadrupèdes : Recettes de viandes, gibiers et animaux domestiques.
Livre IX – La mer : recettes de coquillage et de poissons.
Livre X – Le pêcheur : recettes de sauces pour le poisson.
Saveur de la cuisine antique
La palette aromatique des recettes du recueil d’Apicius dénote de ce goût des mélanges des saveurs avec un penchant pour les épices précieuses. Le poivre importé est préféré aux baies de myrte indigènes. De même, le garum remplace le sel plus populaire. L’usage du Silphium de Cyrénaïque dont on utilise la tige, le suc et la racine, est fréquent bien que cette plante soit en voie de disparition à cette époque et donc d’un prix très onéreux. D’autres épices précieuses complètent la palette : le gingembre, le nard indien, la malobarthre (feuilles d’un arbre Indien). On trouve plus rarement l’emploi de la cardamome, du costus (vivace herbacée indienne).
Dans le placard à aromates d’Apicius on trouve aussi un ensemble de plantes potagères : de l’oignon, du poireau, de la ciboulette, de l’aneth, du carvi, du céleri, de la coriandre, du cumin, du fenouil, du laurier, du lazer (plante ombellifère), de la livèche, de la menthe, un peu de moutarde, d’origan et de persil, du pouliot (menthe citronnée), de la rue, de la roquette, de la sarriette, du thym.
Il semble y avoir des associations de saveurs à respecter. Ainsi, le bouquet de poireau et coriandre pour le flamant au court bouillon à mettre à mi-cuisson ; le poireau avec coriandre et sarriette avec le poulet, le bouquet d’aneth, poireau, sarriette et coriandre verte ou bien poireau et aneth ou encore poireau, coriandre et aneth pour le lièvre ; le poireau et coriandre pour le poisson. Ces bouquets, tels nos bouquets garnis, sont mis dans le plat en cours de cuisson et jetés après cuisson.
La lecture des recettes permet de confirmer le goût pour les épices et les herbes aromatiques. 86% des recettes contiennent une ou plusieurs épices et 74% des herbes aromatiques. Le poivre se trouve dans 56% des plats, le cumin vient en second avec 18%. La livèche, la rue, la coriandre, l’oignon, le laser/silphium, les menthes, l’origan, le céleri, le poireau sont les aromates les plus utilisées, toujours en association par deux, trois ou quatre dans les bouquets.
Les cuisines de l’Antiquité sont très aromatiques. Le mélange de feuilles, de graines ou de racines de plantes indigènes ou importées d’Inde, du Moyen-Orient et du bassin méditerranéen caractérise leur goût. Cette inclination pour les saveurs composées s’explique par l’intérêt thérapeutique que l’on recherche dans la vertu des aliments et par la force des habitudes.
Quelques astuces
On apprend au fil des recettes le savoir-faire des cuisiniers et cuisinières de l’Antiquité. L’ouvrage donne de nombreuses astuces culinaires pour ne pas rater le plat. Ainsi, il faut laisser de la place dans les animaux farcis, pour ne pas que la bête éclate à la cuisson si la farce est trop tassée. Ou bien, la fécule est toujours mise à la fin de la recette, pour épaissir la sauce. Pour dessaler la viande, il faut la faire cuire dans du lait, puis dans de l’eau. Pour rendre ferme les asperges, il faut les plonger dans l’eau chaude. Pour donner un beau vert aux légumes, il faut les faire cuire dans de l’eau avec du carbonate de soude. Pour remuer et fouetter les préparations, on confectionne « un fouet à remuer » fait de céleri et de sarriette ou de céleri vert et de calament (menthe des sous bois)…
En revanche, les quantités d’ingrédients et les temps de cuisson ne sont pas précisés ou très peu : « quelques gouttes d’huile », « prendre autant de cumin que l’on puisse avec 5 doigts, la moitié de poivre, et une gousse d’ail… » ; » goutte à goutte un peu d’huile »…
En fait, il faut goûter : « goûtez. Si c’est fade, ajouter du garum, si c’est salé, un peu de miel” ou bien « goûtez et s’il manque quelque chose, ajoutez-le ».
Pour en savoir plus
Anthologia latina, 2e moitié du VIIIe s., manuscrit latin BNFms latin n° 10318
André Jacques, Apicius, L’art culinaire, Les Belles Lettres, Paris, 2010, 235 p.
Blanc Nicole et Nercessian Anne, La cuisine romaine antique, Glémat-Faton, Grenoble, 1992, 223 p.
Chantal Laure (de), À la table des anciens. Guide de cuisine antique, Les Belles Lettres, Paris, 2007, 338 p.
Pedrazzini Renzo, Gastronomie d’Apicius. Cuisiner romain aujourd’hui, Edition de Terran, Escalquens, 2010, 237 p.