Comment imaginer de nos jours, qu’il y a encore un siècle, l’orange était un produit de luxe que l’on offrait à Noël. Pour l’Europe, de tout temps et jusqu’à récemment, ce fruit, de part le prix du transport, est resté coûteux et donc essentiellement consommé par les classes aisées.
À l’origine, était l’orange amère.
Originaire d’Asie du Sud-Est, l’orange ne semble pas connue durant l’Antiquité (ou bien comme le prétend Alexandre Dumas, « ils n’aimaient pas cela »). Les auteurs antiques n’en font aucune mention.
Ce sont les Arabes qui les premiers développent un commerce régulier avec l’Asie (au VIIIe s.). On peut donc croire que l’orange est introduite au Moyen-Orient au moins dès cette époque. L’espèce est alors amère : la bigarade.
Il est courant de croire que les croisés la découvrent et la ramènent en occident au XIIe siècle. Mais il est aussi probable que le fruit soit connu, bien plutôt, par le biais de la cuisine arabe et juive pratiquées dans les pays conquis (la Sicile et l’Espagne). Si l’orange amère est utilisée dans la cuisine médiévale arabe, elle n’est pas un produit de base. Le citron et la grenade restent, au Moyen-Âge, les fruits condimentaires acidulés pour les sauces et les assaisonnements. Mais quelques recettes arabes l’utilisent dans des plats de viande (telle la Nâranj, recette syrienne de l’ouvrage Al-Wuslâ ilâ-l-habîb rédigé au XIIIe s.).
Au XIIIe siècle, en Italie, afin de répondre à la demande du marché, les propriétaires terriens développent l’arboriculture et notamment celle de l’oranger et du citronnier.
En France, la consommation de l’orange est plus développée que ce que l’on pourrait penser. En effet, si l’on trouve des oranges sur les foires des villes (comme à Chalon en 1368), elles sont aussi présentes sur les étales des marchés d’agglomérations plus petites du Midi-Toulousain (à Najac, Ax entre 1250 et 1350, à Gardouch à la fin du XIIIe siècle- début du XIVe siècle).
Au XVe siècle, des orangers sont cités dans les jardins de Provence. L’importation se fait toujours d’Italie (San Remo, Gêne), mais la tendance est à la production locale (notamment dans la plaine de Hyères). En 1589, les oranges qui arrivent sur les marchés du Puy-en-Velay, sont taxées comme produit d’importation et proviennent de Provence.
Et puis l’orange douce arrive du Portugal.
L’orange douce, bien que connu en Italie dès 1475 (Bartolomeo Sacchi), est ramenée de Chine et commercialisée par les Portugais au cours du XVIe s. On la distingue alors des variétés amères par l’appellation “oranges du Portugal”.
En France, elle reste un produit aristocratique tout au long des XVIIe et XVIIIe siècles, associée à des produits à forte connotation sociale. À la table des élites aquitaines, on la consomme crue, comme fruit exotique et festif. Peu à peu, le fruit se démocratise, mais son usage dans la cuisine bourgeoise et ensuite populaire, se réduira aux entremets et desserts sucrés.
Au XVIIIe siècle, dans l’Agenais et le Bordelais, les fruits viennent en partie du Portugal et probablement d’Espagne. Dans le Gazetin du comestible de 1767, premier catalogue parisien de vente par correspondance de denrées alimentaires, les « oranges rouges » viennent des jardins d’Aix. Elles sont commercialisées en janvier, mais aussi en mai et juin, au prix modique de 1,84 sous le kg (1 poulet valant 18 sous). Mais la marmelade de bigarade est vendue à 4 livres le pot. La plus renommée (tout du moins à Paris) est celle de Touraine et d’Anjou.
Après la Première Guerre mondiale, le fruit est promu pour sa riche teneur en vitamine. Les américains l’imposent au breakfast. Cette mode de consommer l’orange en jus de fruits permet une consommation annuelle et non plus saisonnière du fruit qui fait exploser la demande mondiale. Dans les années 1930, la production se développe en Afrique du Sud et au Brésil et plus généralement dans l’hémisphère sud.
Pour en savoir plus
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