Les témoignages des Espagnols et des Italiens.
Déjà dans la première moitié du XVIe siècle, la tomate, cultivée dans les jardins ou en pot sur les fenêtres, est consommée malgré les réticences des botanistes. Matthioli, en 1544, précise « que certains les consomment frites dans de l’huile avec du sel et du poivre, comme les aubergines et les champignons ». Fuschs, en 1558, stipule qu’on les mange aussi en salade, préalablement bouillies et découpées en rondelles, avec de l’huile, du poivre et du vinaigre. Pour les conserver en hiver, elles sont confites au vinaigre. Mathias de l’Obel, en 1581, affirme qu’en Italie, on les mange comme des melons (crues ?). En 1592, Gregorio los Rios, botaniste espagnol, propose d’utiliser le fruit dans les sauces. Mais il ne semble, alors, avoir convaincu personne. Le chirurgien anglais, John Gerarde, rapporte (en 1636) que les Espagnols cependant utilisent couramment la tomate, bouillie avec du poivre, du sel et de l’huile mais également mixée et assaisonnée d’huile, de vinaigre et de poivre, formant un condiment pour accompagner les viandes.
Entre Italiens et Espagnols, les traités culinaires se concurrencent pour savoir qui a oeuvré pour la promotion de la tomate. Les Italiens semblent penser que ce sont les Espagnols. Ainsi, à la fin du XVIIe siècle, le cuisinier italien, Antonio Latini, étiquette « d’espagnole » toute recette comprenant de la tomate. Il est d’ailleurs le premier à donner une recette de « sauce tomate à l’espagnole » (1692-1694).
Les Français à la traîne !
Une centaine d’années plus tard, en 1773, un livre de cuisine napolitain (Il Cuoco galante) propose 12 préparations comprenant de la tomate (beignets, croquettes, tomates farcies aux riz et aux truffes ou aux anchois). L’emploi de la tomate se diversifie enfin, alors qu’en France les traités culinaires restent muets sur son usage. La cuisinière Bourgeoise de Menon, en 1753 ne mentionne aucune recette à base de tomate. Les appellations « d’espagnole », « italienne» ou « provençale » ne sont jamais associées à ce fruit. En revanche, dans la reprise de ce même traité, en 1843, Louis-Eutache Audot, ajoute deux recettes : un « potage aux tomates » et des « tomates farcies ». Il donne également dans son ouvrage destiné aux ménagères, la façon de conserver les tomates, pour l’hiver, en réalisant une réduction de la pulpe que l’on stocke dans de très petits pots bouchés soigneusement. Les italiens, à cette époque (1832) la conserve également séchée. Ce souci de conserver ce fruit, depuis le milieu du XVIe siècle, confirme bien, contrairement aux textes de la pratique, la consommation de la tomate dans les repas quotidiens.
En France, Jules Gouffé, en 1867, intronise la tomate dans la cuisine des ménagères et dans la grande cuisine. Il adapte, pour chacune, deux préparations emblématiques : la tomate farcie et la sauce tomate. Et c’est à un gastronome français bien connu que l’on doit la première recette écrite de pâtes à la tomate : Grimod de La Reynière l’associe au vermicelle, en 1807. Il préconise aussi, pour le riz et les potages, d’ajouter le jus de tomate pour donner une légère acidité. Il étiquette alors le fruit à « l’usage italien ». Alexandre Dumas (en 1873), dans son dictionnaire, en fait une spécialité largement méridionale. L’usage dépasse alors la simple consommation du fruit, la tomate est introduite dans des préparations : on utilise « la pulpe en purée et son sucre comme assaisonnement ».
Il faut toutefois attendre un siècle pour voir son usage se diversifier dans les livres de recettes français. Dans l’encyclopédie de la cuisine de la Bibliothèque du club de la femme (1959), on trouve 79 plats à base de tomates (sur 713 recettes). Aujourd’hui, elle s’invite dans de nombreux plats traditionnels français, parmi les plus connus : la ratatouille niçoise, le poulet basquaise, mais aussi le cassoulet, l’oie rôtie de la Saint-Martin Alsacienne, la marmite Dieppoise, le coq au vin de lorraine ou le sauté de veau chasseur parisien.