Aujourd’hui, nos « cuisines du terroir » ont gardé comme recette de bouillie emblématique du Sud-Ouest, le millas. Cette préparation est en fait une bouillie épaisse que l’on étale pour faire refroidir. On obtient un pain que l’on découpe en portions ou en tranches pour faire frire dans un corps gras. Le millas est croustillant autour et fondant dedans.
Une spécialité du Sud-Ouest ?
Sa réputation est déjà faite au XIXe siècle. En 1867, F. Pariset dit : « le millas est le mets favori et pour ainsi dire national du Midi ». Et, en effet, on retrouve le millas dans les spécialités des Landes, du Béarn, du Gers, du Tarn, de l’Aude, du Lauraguais, de l’Aveyron, des Cévennes. Mais pas uniquement ! La Vendée qui a gardé la tradition de la culture du millet, réalise un gâteau de millet frit au beurre ou à la graisse et sucré. Les Normands font de même avec le reste de leur bouillie de sarrasin refroidie. Et les Bretons réalisent des pains de bouillie à l’avoine. Ils découpent des tranches qu’ils font frire au beurre salé dans une poêle. Ils les trempent alors dans du cidre ou les mangent avec de la confiture ou encore en accompagnement de la viande. En revanche, il ne faut pas confondre le millas occitan avec le millas de Poitou-Charente ou les millasses de Périgueux qui sont des flans pâtissiers à la farine de maïs coulés sur une pâte feuilletée.
La recette !
Cette recette remonte au moins au XVe siècle, en Italie et en France. Bartolomeo Sacchi dit Platine, décrit une recette de tarte au millet qui ressemble fort au millas. La bouillie peut être faite au lait de chèvre, de vache ou d’amande en jour maigre, avec de la farine de millet ou de riz. La préparation ainsi obtenue est mise à refroidir sur un plateau. On découpe des portions que l’on frit des deux côtés dans de l’huile. Pour finir, on les saupoudre de sucre et on les arrose d’eau de rose. Joseph du Chesne, en 1606, mentionne la cruchade, une bouillie de millet épaisse étalée et refroidie que l’on découpe en tranche pour être frite à l’huile ou au lard. Le Thrésor de Santé (1607) décrit la fabrication d’une bouillie de farine de millet ou de panis cuite à l’eau que l’on appelle « miques en Gascogne ». Cette préparation est la nourriture des paysans qui la mangent « en pièces » avec du fromage ou du petit lait salé.
Avec la culture du maïs dans nos régions, le millas, à partir du XVIIIe siècle, se fait aussi à la farine de maïs parfois mélangée avec du froment ou de l’orge. En 1796, Grasset de Saint-Sauveur observe chez les paysans aquitains : “leurs ustensiles de cuisine consistent dans un ou deux poêlons, qui leur sert à frire leur lard et à faire des cruchades, pâte frite avec de la farine de blé d’Inde ou de millet”.
En 1812, dans un ouvrage consacré au maïs, Antoine-Augustin Parmentier précise, pour le Sud-Ouest, que la bouillie de maïs se mange chaude, refroidie, grillée ou frite. Elle constitue « une partie de la nourriture des habitants de la campagne. Ils y font entrer tantôt du lait ou du beurre, tantôt de la graisse d’oie ou de porc ». On découpe la millasse ou cruchade en tranches plus ou moins épaisses pour les faire « chauffer sur le grill ». On peut conserver cette préparation plusieurs jours : 5 à 6 jours quand elle est faites à la graisse ; un peu moins quand elle est faite au lait. A.-A. Parmentier ajoute : « Il est inutile de dire ici que les gens riches ont trouvé aussi le moyen de faire avec la millasse des mets de fantaisie, en divisant les tranches en morceaux carrés, les faisant réchauffer dans une friture de beurre ou de graisse et les saupoudrant avec du sucre ».
Dans le courant du XIXe siècle, cette habitude de frire les parts de millas à la poêle dans de la graisse devient une habitude dans tous les milieux sociaux. Dans le Tarn, en 1838, Eugénie de Guérin nous en donne la recette. « On met de l’eau dans un chaudron. Quand elle bout, on vide la farine en pyramide qu’on transperce avec un bâton au milieu et aux côtés, on laisse bouillir deux heures doucement, on descend et on remue. Après une heure de repos, on vide. » On mange ce Milhàs grillé ou frit avec du citron ou saucé dans du raisiné.
Pour en savoir plus
Flandrin J.-L., « L’alimentation paysanne en économie de subsistance » dans Histoire de l’alimentation, Fayard, 1996, p.593-627.
Flandrin Jean-Louis, « Problèmes, sources et méthodes d’une histoire des pratiques et des goûts régionaux avant le XIXe siècle » dans Alimentation et régions, Actes du colloque « cuisine, régimes alimentaires, espace régionaux, Nancy, Presses Universitaires de Nancy, 1989, p. 347-360.
Garrigues M., Simples lectures sur les sciences, les arts et l’industrie à l’usage des écoles primaires, nouvelle édition entièrement refondue par M. Boutet de Monvel et accompagnée de 157 figues, Paris, Librairie Hachette et Cie, 1872, 525 p.
La Mazille, La bonne cuisine du Périgord, 1929, Paris, Flammarion, 2013, 317 p.
L’inventaire du patrimoine culinaire de la France : Aquitaine, Albin Michel/CNAC, 1997, 383 p.
L’inventaire du patrimoine culinaire de la France : Bretagne, Albin Michel/CNAC, 1994, 426 p.
L’inventaire du patrimoine culinaire de la France : Midi-Pyrénées, Albin Michel/CNAC, 1996, 333 p.
L’inventaire du patrimoine culinaire de la France : Limousin, Albin Michel/CNAC, 1998, 222 p.
L’inventaire du patrimoine culinaire de la France : Poitou-Charente, Albin Michel/CNAC, 1994, p.276-280.
L’inventaire du patrimoine culinaire de la France : Normandie, Albin Michel/CNAC, 203, 397 p.
L’inventaire du patrimoine culinaire de la France : Languedoc-Roussillon, Albin Michel/CNAC, 1998, 407 p.
Palay Simin, Autour de la table béarnaise. Tradition, coutume, terminologie, proverbes et dicton, Toulouse/Paris, Édition de l’Académie de Béarn, Privas/Henri Didier, 1932, 117 p.