Recette simple, économique, utilisant des produits que toute ménagère garde dans sa réserve (pain, lait, œufs, sucre, beurre ou huile), le pain perdu est une recette européenne. Dans la cuisine familiale, le plat permet d’utiliser le pain sec pour en faire un excellent entremet sucré. Aujourd’hui, il revient à la mode dans les restaurants français et s’exporte au bout du monde sous l’appelation « french taost ». Réalisé avec du pain de mie, on le trouve sur toutes les cartes de petit-déjeuner des grands hôtels internationaux. Alors, le pain perdu est-il une spécialité française?
Tout d’abord, un peu d’histoire…
On peut penser que l’on réalise du « pain perdu » depuis que l’on fabrique du pain, mais les preuves sont inexistantes. Peut-être pouvons-nous reconnaître dans les croûtes au lait accompagnant des alouettes rôties citées par Télécleidés, auteur grec du V e siècle av. J.-C., cité lui-même par Athénée au début du III e siècle ap. J.-C. dans ses Deipnosophistes, comme une probable recette originelle.
Mais la vraie première recette se trouve dans le recueil d’Apicius, célèbre gastronome du Ier siècle ap. J.-C. Le plat est cité dans le chapitre des « sucreries faites à la maison ». On peut donc croire que c’est là une pâtisserie réalisable par toutes les ménagères romaines. Les pains faits de blé tendre ou les petits pains d’Afrique au moût sont cassés en morceaux, puis trempés dans du lait et frits à l’huile. Ils sont servis arrosés de miel. Ou bien encore, on peut les cuire au four en prenant garde de ne pas les faire sécher et les servir miellés et poivrés.
Au Moyen-Âge, on trouve le pain ferré au XIIIe siècle, le pain perdu en 1384 et aussi les croûtes au lait dans le Ménagier de Paris, en 1390. Ce dernier préconise de les servir, pour un dîner, au troisième service sur un banquet de cinq services ou au second service pour un repas à deux services. En 1505, la version française du Platine de Bartolomeo Sacchi, donne la recette de soupes dorées réalisées avec des tranches de pain blanc grillées des deux côtés. Une fois la croûte enlevée, elles sont trempées dans un mélange d’oeufs battus avec du sucre et de l’eau de rose, puis frites au beurre dans une poêle. Pour finir, elles sont saupoudrées de sucre et arrosées d’eau de rose colorée avec un peu de safran. Dans un souci diététique qui caractérise la cuisine médiévale, ce plat, nous dit l’auteur, engraisse le corps et est bon pour les reins et le foie.
Menon, en 1753, dans son ouvrage La cuisinière Bourgeoise, donne, en entremet, une recette de beignets de pain, aromatisés au citron vert et à la fleur d’oranger. Cent ans plus tard, l’édition de La cuisinière de la campagne et de la ville de 1843, de Louis-Eustache Audot, qui reprend l’ouvrage de Menon, redonne la recette désormais dénommée pain perdu. Il en ajoute une seconde, les soupes dorées. Cette dernière est plus simple à réaliser avec des tranches de pain entières trempées dans des œufs battus en omelette, puis frites. Elles sont servies chaudes et salées.
En 1934, Escoffier aromatise son pain perdu à la vanille et préconise de le réaliser avec du pain grillé et beurré ou avec de la brioche pour une recette plus distinguée.
Mais le pain perdu est-il une spécialité française ?
Les Anglais semblent le croire, puisque on trouve dès le XVe siècle, dans l’ouvrage Two 15th Century Cookery Books, des recettes à la prononciation francisée de payn pur-dew salé ou payn fondew sucré et trempé au vin rouge. En 1685, Robert May donne la recette du French toats trempé dans du vin blanc, saupoudré de sucre et arrosé de jus d’orange qui devient un classique qui s’importe aux États-Unis (John Nott en 1723, Mrs Lee en 1832).
Toutefois, cette recette simple et économique se pratique dans de nombreux pays européens avec de nombreuses variantes qui s’adaptent aux goûts culturels de chaque pays.
Pour en savoir plus
André Jacques, L’alimentation et la cuisine à Rome, Paris, Les Belles Lettres, 2009, p.70.
André Jacques, L’art culinaire, Paris, Les Belles Lettres, 2010, 235 p.
Escoffier Auguste, L’aide-mémoire culinaire, Paris, 1919, réedition Flammarion 2006.
Ménagier de Paris, traité de morale et d’économie domestique composé vers 1393 par un bourgeois parisien. Edition présentée par le Baron Jérôme Pichon, tome 2, Régis Lehoucq éditeur. 1992, Fac-similée de l’édition de 1846-1847.
Menon, La cuisinière Bourgeoise : Suivie de l’office, à l’usage de tous ceux qui se melent de dépenses de maisons (1733), Fac-similée de l’édition de 1733, Kessinger Publishing’s, Legacy Reprints.