Nous sommes surpris aujourd’hui de lire dans les livres de cuisine des siècles passés la façon de préparer les truffes.
Manger les truffes dans l’Antiquité.
Dans l’Antiquité, la cuisson sous la cendre est certainement la recette la plus ancienne, puisque déjà les Grecs la préparent ainsi (Platon, Le banquet de Philoxène, vers 380 av. J.-C.). Apicius, gastronome romain du Ier siècle, les pèle avant de les cuire dans de l’eau, puis il les enfile dans une brochette pour les griller. On peut, une fois embrochées, les enrouler dans une crépine de porc avant de les mettre au feu. Suivant les habitudes de la cuisine romaine, on les sert accompagnées d’une sauce. Cette dernière est réalisée avec de l’huile, du garum (saumure de poisson), du vin mêlé à du vin cuit (carenum), du poivre et du miel. On peut corser le goût de cette sauce en y ajoutant divers bouquets de saveurs : un peu de livèche, de coriandre et de rue ou bien de la menthe avec de la rue ou encore du poireau avec de la coriandre, ou également du cumin associé à du silphium (une aromate disparue aujourd’hui), de la menthe, du céleri et de la rue. Apicius utilise aussi la truffe comme condiment aromatique dans une recette de poule cuite avec des courges. Le tubercule se retrouve associée dans la sauce d’accompagnement de cette recette avec des pêches, du poivre, du carvi et du cumin, du silphium, de la menthe, de la ache, de la coriandre, de la menthe pouliot, des dattes, du miel, du vin, du garum, de l’huile et du vinaigre. Ces listes de saveurs sont traditionnelles de la cuisine romaine antique mais pour nos palais contemporains, on ne peut que regretter cet usage secondaire de la truffe dans un bouquet aromatique complexe.
Manger les truffes au Moyen Âge.
La documentation écrite ne nous donne aucun renseignement sur la manière des populations paysannes de consommer la truffe. Il faut se reporter aux livres plus savants. L’ouvrage de Bartolomeo Sacchi, en 1505, par exemple, préconise de les laver au vin, et de les faire cuire ensuite sous la cendre chaude. Il faut les servir chaudes avec du sel et du poivre et boire du bon vin avec. On peut aussi les bouillir à l’eau avec un jaune d’oeuf ou les confire à l’huile saupoudrées d’épices après les avoir pelées.
Le médecin Bruyérin-Champier, en 1560, nous donne plusieurs manières de préparer les truffes : bouillies à l’eau avec du sel, de l’huile, de l’origan ou de l’hysope ou d’autres herbes ; cuites dans du vin ; cuites sous la cendre pour la manger avec du poivre moulu ; cuites dans du bouillon gras. On les fait sécher, on les coupe en tranches, pour les mettre dans les ragoûts. On les mange cuites, mais jamais crues.
Manger les truffes sous l’Ancien Régime.
À partir de la seconde moitié du XVIe siècle, les ouvrages proposant des recettes pour les cuisines bourgeoises ont tous un chapitre sur les truffes. La manière la plus simple est de les cuire dans du vin. On peut aussi les cuire dans un court-bouillon que l’on réalise avec du vin, du vinaigre, des épices, de l’oignon, de la ciboule, des peaux d’orange ou de citron et des herbes comme thym, marjolaine, sauge, romarin, laurier (Bonnefons Nicolas, 1655). Suivant le goût des auteurs, les ingrédients de ce court-bouillon varient : sans vinaigre et au vin rouge pour L.S.R. en 1674 et au vin blanc pour Pierre de Lune en 1656.
Ces façons de cuisiner les truffes se retrouvent dans les livres de cuisine du XVIIIe siècle. Dans les recettes, les truffes sont souvent pelées, mais on utilise les croûtes de truffes pour d’autres préparations. Menon, en 1753, dans La cuisinière bourgeoise, préconise également pour donner du goût aux ragoûts d’y ajouter des truffes soit hachées, soit coupées en tranches après les avoir pelées. En dehors de la saison, on utilise aussi des truffes sèches pour l’assaisonnement en cuisine.
La mode des truffes au XVIIIe siècle pousse certains auteurs à renommer les vieilles recettes, tel Menon et sa recette de truffes à la maréchale qui ne sont que des truffes à la cendre, une recette ancestrale ! : Laver et nettoyer chaque truffe, les saler et poivrer, les mettre dans plusieurs morceaux de papier (5 ou 6 feuilles), le tout dans une petite marmite et la marmite dans les cendres chaudes pendant une heure. Servir chaud au naturel. Le dictionnaire portatif de cuisine de 1772 donne pour sa part la recette des truffes à la Lyonnaise qui est la classique recette des truffes au court-bouillon. Dans ce même ouvrage, dans plusieurs recettes, on associe plusieurs fois les truffes au champagne (cuisson au champagne). On les cuisine comme des champignons : fricassées au beurre avec du persil, de l’ail, des clous de girofle, du thym, du laurier et du basilic, garnies de croûton de pain frits. On trouve même, « une tourte de truffes que l’on fait comme celle aux champignons ». En revanche, dans la cuisine bourgeoise des XVIIe et XVIIIe siècles, on ne mentionne pas de volailles truffées (à part la perdrix rouge pour les fêtes de fin d’année). Cela semble une habitude qui se met en place au XIXe siècle.
Manger les truffes au temps de nos arrières grand-mères.
En 1829, La cuisinière de la campagne et de la ville reprends les recettes classiques en les mettant au goût du jour : truffes sous la cendre, truffes cuites entières dans du vin blanc avec lard haché, bouquet garni, ail, jus et bouillon de viande, ou encore coupées en tranches cuites en ragoût avec beurre, ail, girofle, ciboule, persil dans du bouillon et du vin blanc. Apparaissent désormais des recettes d’omelettes aux truffes et les incontournables dindes, poulets ou poulardes truffés. Le XIXe siècle intronise la truffe à la suite de Brillat-Savarin (1755-1826) comme le « diamant noir de la cuisine ». Elle devient un ingrédient de saveur que l’on préfère utiliser de plus en plus sans autre artifice.
Les cuisines qui mettent le plus la truffe en valeur dans leurs plats restent, à la fin du XIXe et au XXe siècle, les cuisines du Sud-Ouest où le champignon est présenté comme produit du terroir. En 1929, La Mazille dans sa cuisine du Périgord multiplie les préparations : oeufs, volailles, salades, sauces, poissons, pâtés. La truffe en saison est partout, mais toujours cuite.
Pour en savoir plus
André Jacques, Apicius, L’art culinaire, Paris, Les Belles Lettres, 2010, 235 p.
Aubert de Chesnaye des bois Fr-A, Goulin J., Roux A., Dictionnaire portatif de cuisine, d’office et de distillation. Contenant la manière de préparer toutes sortes de viandes, de volailles, de gibier, de poissons, de légumes, de fruits, etc. Paris, Lottin, 1772, 367 p.
Audot Louis-Eustache, La cuisinière de La campagne et de la Ville, ou Nouvelle cuisine économique, 8e éd., Paris, Librairie Audot, 1829, 339 p.
Bruyérin-Champier Jean, L’alimentation de tous les peuples et de tous les temps jusqu’au XVIe s., traduction de Amundsen Sigurd de la 1 ère édition de 1560, Paris, Intermédiaire des chercheurs et curieux, 1998, 667 p.
Bonnefons Nicolas de., Les délices de la campagne suitte du Jardinier françois, ou est enseigné à preparer pour l’usage de la vie, tout ce qui croît sur terre , dans les eaux. Dédié aux dames ménageres seconde edition augmentée par l’autheur, Amsterdam, Raphael Smith, 1655, 384 p.
La Mazille (Mallet-Maze Andrée), La bonne cuisine du Périgord, 1929, réédition Flammarion, 2013, 317 p.
L’art de la cuisine française au XVIIe siècle. L.S.R., L’art de bien traiter, Pierre de Lune, Le cuisinier, Audiger, La maison réglée, Paris, Payot, 1995, 622 p.
Menon, La cuisinière Bourgeoise : Suivie de l’office à l’usage de tous ceux qui se melent de dépenses de maisons, Bruxelles, François Foppens, 484 p. fac-similée de l’édition de 1753, Kessinger Publishing’s, Legacy Reprints.