De décembre à mars, les truffiers cherchent le « diamant noir de la cuisine » comme l’appelle Brillat-Savarin (1755-1826). Mais la truffe n’a pas toujours été ce met de luxe qui se vend aujourd’hui à plus de 1000€ le kg.
Des parasites de la terre!
Pline (naturaliste, 23 – 79 ap. J.-C.) les décrit ainsi :« rousses ou noires et blanches à l’intérieur. Elles sont meilleures et plus fortes au printemps, car elle sont très tendres. Elle peuvent atteindre des tailles gigantesques jusqu’à 1 livre (327g environ), car elles peuvent être aussi grosses qu’un coing».
Dans l’Antiquité, les avis sont partagés. Il y a ceux qui s’en méfient car on ne comprend ni leur formation, ni leur nature. On les voit comme des « parasites de la terre » qui « naissent des pluies d’automne et des coups de tonnerres secs, et davantage en ce dernier cas, car un coup de lumière en est la principale cause » (Théophraste, philosophe grec, 371-288 av. J.-C.). Un médecin comme Galien (129 -201 ap. J.-C.) la définit comme « un bulbe ou une racine sans qualité remarquable. Elles servent surtout de condiments tout comme les autres aliments fades et insipides qui ont un goût aqueux. Elle offre une alimentation assez froide et même épaisse sans être mauvaise ». On croit qu’elles étranglent comme des champignons, qu’elles provoquent des coliques douloureuses. Mais on trouve aussi des amateurs. Le poète Martial (40 – 104 ap. J.-C.) en fait l’éloge : “Nous qui rompons la terre nourricière de notre tête délicate, sommes les truffes, fruits qui ne le cèdent qu’aux bolets”. De même Apicius (25 av. -37 ap. J.-C.), ce gastronome auteur d’un livre de cuisine, en utilise dans six recettes.
Une nourriture pour ventre creux!
Au Moyen Âge, les truffes sont classées parmi les “champignons visqueux qui sont des nourritures pour ventre creux”. Elles restent dépréciées car elles poussent dans la terre et sont donc considérées comme met vulgaire. En 1505, Bartolomeo Sacchi (humaniste italien) dit qu’on peut manger les truffes du printemps crues ou cuites. « Elles sont plus tendres que les truffes d’automne. Elles sont proches de la nature des champignons, mais ne sont pas dangereuses bien que donnant la colique, difficiles à digérer et modifient la vue ». Ce produit issu de la cueillette paysanne est en fait assez peu documenté. Bien que dépréciées, les truffes semblent toutefois recherchées par la cuisine de cour. Au XIVe siècle, les comptes de l’hôtel du Duc de Berry font état de plusieurs achats de truffes en automne. En 1385, on trouve des truffes dans le menu de mariage de Charles VI et Isabeau de Bavière.
La saveur de la truffe à la conquête de la gastronomie!
Il faut attendre le XVIe siècle pour voir monter la côte de popularité des truffes. Bruyerin-Champier, en 1560, précise : « Aujourd’hui, elles sont en bonne place à la cour » et “on ne peut qu’admirer qu’il puisse exister tant d’aliments délicieux, non seulement sur la terre, mais dans ses ténèbres les plus profondes.” Elles font alors la réputation de l’Angoumois, la Saintonge, la Franche-Comté, la région de Sens, la Savoie, le Dauphiné et la Vallée d’Or en Haute-Savoie. On peut les conserver en les faisant sécher afin de s’en servir dans les ragoûts.
En 1755, elles coûtent 50 sols la livre soit 2 journées de travail d’un maçon. On en cherche et on en trouve dans le Dauphiné, une partie du Comtat (vers Carpentras) et le nord de la Provence, le Vivarais, « la chaîne des montagnes de l’est à l’ouest du Languedoc », dans les environs de Lyon (très petites), en Bourgogne et très peu dans le Poitou et la Saintonge. Elles sont surtout surabondantes dans les provinces du Périgord et de l’Angoumois (Abbé Rozier, 1793-1801). On les apprécie car elles ont « une odeur et un goût très agréables qui les rendent d’un grand usage dans l’assaisonnement » (1772, Dictionnaire portatif de cuisine).
À Paris, elles sont indispensables dans la cuisine bourgeoise et la grande cuisine. En 1767, on trouve dans le Gazetin du comestible (premier catalogue de vente par correspondance parisien) des truffes fraîches ou vertes d’Alby, des truffes noires du Dauphiné, de Bagnols, de Sommières, de l’eau de truffes de Dijon, de la liqueur de truffe de Lunéville, des gâteaux aux truffes, des perdrix rouges aux truffes vertes de Nerac, des conserves de perdrix rouges aux truffes de Bordeaux, de la moutarde aux truffes, des pâtés de marrons aux truffes de Lyon, des pâtés d’anguilles aux truffes.
À partir du milieu du XVIIIe siècle et au XIXe siècle, la truffe du Périgord semble se positionner comme la meilleure (Menon, 1753 et Garrigues, professeur de physique, 1872). Une réputation toujours clamée au XX e siècle par Curnonsky (critique culinaire). « Périgueux en est la capitale » nous dit La Mazille en 1929. Mais cette réputation a fait exploser son prix et La Mazille s’en plaint avec désolation : « Il y a peu d’année encore, les Périgourdins n’auraient pas osé manger de dinde le jour de la mi-carême si elle n’avait été convenablement truffée. Depuis, hélas, les temps ont changé, la dinde truffée est devenue un luxe onéreux. »
Pour en savoir plus
André Jacques, L’Alimentation et la cuisine à Rome, études anciennes, Paris, Les Belles Lettres, 2009, 252 p.
Bruyérin-Champier Jean, L’alimentation de tous les peuples et de tous les temps jusqu’au XVIe s., traduction de Amundsen Sigurd de la 1ère édition de 1560, Paris, Intermédiaire des chercheurs et curieux, 1998, 667 p.
Ferrières Madeleine, Histoire des peurs alimentaires du Moyen Âge à l’aube du XXe siècle, Paris, Le Seuil, 2002, p.114-154.
Garrigues M., Simples lectures sur les sciences, les arts et l’industrie à l’usage des écoles primaires, nouvelle édition entièrement refondue par M. Boutet de Monvel et accompagnée de 157 figues, Paris, Librairie Hachette et Cie, 1872, 525 p.
Rozier Francois, Cours complet d’agriculture théorique, pratique, économique, et de médecine rurale et vétérinaire ou Dictionnaire universel d’agriculture, T. 9, Paris, Moutardier, 1801, 608 p.
Taillefer Michel, Vivre à Toulouse sous l’Ancien Régime, Toulouse, Ombres blanches, 2000, réédition 2014, 413 p.
Toussaint-Samat Maguelonne, Histoire naturelle et morale de la nourriture, col. In Extenso, Paris, Larousse, 1997, 958 p.