La courge est l’une des premières plantes domestiquée par l’homme. On la trouve à l’état sauvage en Afrique. Les traces de domestication sont très anciennes : au Pérou (vers 11 000-13 000 av. J-C.), au Mexique (vers 8 000- 5 500 J-C.), en Thaïlande (vers 10 000 – 6 000 J-C.) et en Egypte (vers 2 000 – 1 800 J-C.).
A l’origine est la gourde africaine
C’est probablement par l’Egypte qu’elle arrive en Italie dès l’Antiquité. Nous avons alors à faire à la famille des calebasses ou gourdes (Lagenaria siceraria) venue d’Afrique et nommée, dans les textes antiques, curcubita. Leur consommation est attestée, chez les Phéniciens, au moins à l’époque hellénistique. Chez les auteurs antiques, on la trouve mentionnée à partir du Ier s. av. (Varron). Suivant Pline, les gourdes les plus longues et les plus tendres sont les plus agréables et les plus saines. Le fruit est considéré (par Martial) comme médiocre. Il est donc réservé aux domestiques et aux pauvres. Toutefois, le manuscrit d’Apicius, considéré comme un traité culinaire aristocratique, nous en donne 9 recettes.
En France, pour la période gauloise, les restes carpologiques attestés, retrouvés en fouilles, sont peu nombreux avant la période gallo-romaine. Ils sont, de plus, souvent complexes à reconnaître dans la grande famille des cucurbitacées (courges, concombres, courgette, melon….). Cette difficulté explique, également, le peu de vestiges attestés pour la période médiévale, sur les sites archéologiques.
Pourtant, on l’aperçoit dans les textes du Moyen Âge. Aux XIVe et XVe siècles, la courge est présente dans les jardins de Provence. C’est un légume saisonnier que l’on sème entre mars et avril et que l’on consomme entre mi-juillet et fin août.
Curieusement, dans les livres de cuisine du Moyen Âge, l’usage de la gourde reste rare. On note 2 recettes dans le « Ménagier de Paris », aucune dans le Modus languedocien, ni dans les enseignements, 1 seule dans « le Viandier » de Taillevant, 4 dans « Le Platine en François » édité en 1505. Il faut attendre le XVIIe s, pour voir les cuisiniers remettre ce fruit au goût du jour (8 recettes dans le traité de La Varenne, en 1651), mais nous parlons là d’une autre courge….
Quand la citrouille américaine envahie l’ancien continent.
Les Cucurbitacées originaires d’Amérique regroupent les courges, courgettes, citrouilles, potirons, potimarrons, pâtissons et autres coloquintes…). Les formes sauvages sont amères et il est probable qu’elles aient été consommées, à l’origine, pour leurs graines riches en lipide et protéines. Les fruits doux sont issus de la domestication de la plante par les amérindiens. A l’arrivée des Européens (fin XVe– début XVIe s.) sur le nouveau continent, la triade maïs, haricots et courges était typique de l’alimentation des indigènes.
Cette citrouille (plus grosse et plus lourde) dite courge « Barbaresque » ou « Yvernenques » (d’hivers) est désormais différentiée, dans les textes, de la « courge ordinaire », à partir de la seconde moitié du XVIe siècle. Les semences arrivent d’Espagne, à Toulouse et se répandent dans le Languedoc. D’autres semences arrivent de Naples et sont adoptées par les maraichers du Sud-Est. On trouve déjà, dans les inventaires notariaux provençaux des « cougourdes » de Naples en 1560. Les citrouilles et potirons se plantent en mai-juin et se consomment entre mi-octobre et mi-février.
Est-ce la citrouille qui lance le goût de la courge en France ? En tout cas, au XVIe s., les agronomes, tel Bruyérin-Champier (en 1551), confirme qu’on les cultive “assez assidument dans les potagers” de l’Est de la France. À cette époque, on plante les gourdes africaines (dite turques) et les courges américaines (dites Napolitaines, ou d’Espagne). Elle est, alors, considérée comme un produit de luxe dont les propriétaires terriens se réservent la totalité de la production, avec celle des artichauts et des abricots. Il semble, d’après E. Le Roy Ladurie, que la popularité de la courge américaine ait été plus lente en Languedoc qu’en Provence.
Au milieu du XVIIe s., les livres de cuisine ne semblent, désormais, utiliser que les citrouilles américaines dans leur recette.
Mais il faut attendre 1860 et le travail de C. Naudin pour établir le système actuel de classification des espèces de cucurbitacées :
• C. pepo, probablement la première introduite en Europe : courge, citrouilles, courgette, pâtisson.
• C. maxima : potiron, courgette ronde, potimarron.
• C. moschata, depuis le milieu du XVIIIe s. : giraumons des Caraïbes, courge musquée de Provence, courgette longue de Nice.
• C. ficifolia au début du XIXe s. : courge du Siam, melon de Malabar.
Pour en savoir plus
André Jacques, Apicius, L’art culinaire, Les Belles Lettres, Paris, 2010, 235 p.
André Jacques, L’Alimentation et la cuisine à Rome, études anciennes, Les Belles Lettres, Paris, 2009, p.
Bruyérin-Champier Jean, L’alimentation de tous les peuples et de tous les temps jusqu’au XVIe s., traduction de Amundsen Sigurd de la 1er édition de 1560, Intermédiaire des chercheurs et curieux, 1998, 667 p.
Crescens (de) Pierre, Les profits champêtres (traduction de Roubinet Jean du manuscrite de la Bibliothèque de l’Arsenal), Editions Chavane, Paris, 1965, 81 p.
La Varenne, Le Cuisinier françois d’après l’édition de 1651, Livres de bouche, éd. Manucius, 2011, 335 p.
Laurioux Bruno, « Cuisines médiévales (XIVe et XVe siècles) » dans Histoire de l’alimentation, Fayard, 1996, p.459-477.
Le Roy Ladurie, Emmanuel, Les paysans de Languedoc, École pratique des Hautes Études et Mouton, 1966, 2 vol., 1034 p.
Pitrat Michel et Foury Claude coord., Histoires de légumes des origines à l’orée du XXIe siècle. INRA Edition, 2003, 410 p.
Rosenberger Bernard, « La cuisine arabe et son apport à la cuisine européenne » dans Histoire de l’alimentation, Fayard, 1996, p.345-365.
Ruas Marie-Pierre, « Les plantes exploitées en France au Moyen Âge d’après les semences archéologiques » dans Flaran, n° 12, 1990, p. 9-35.
Sacchi Bartolomeo, Le platine en François, 1505, Livres de Bouche Manucius, 2003, 203 p.
Spano Giammellaro Antonella, « Les Phéniciens et les Cartaginois » dans Histoire de l’alimentation, Fayard, 1996, p.85-99
Stouff Louis, La table provençale. Boire et manger en Provence à la fin du Moyen Age, Ed. A. Barthélemy, Avignon, 236 p.