Il est une évidence pour tous les historiens et les archéologues : « La préparation de bouillies de céréales (froment, orge, millet, épeautre), dans l’Antiquité, on le sait, constituait une part importante de l’alimentation » (André, 1981 ; Desbat et al., 2006). Les anciens le reconnaissent eux-mêmes, tel Varron (écrivain, 116-27 av. J.-C.) qui nous affirme : “rien n’est plus vieux que la bouillie”.
Une argumentation scientifique à toute épreuve.
La consommation de bouillie est confirmée par l’analyse de quelques résidus d’aliments carbonisés conservés dans des pots de cuisson. Ainsi, soixante-dix-neuf vases ou fragments de vases conservant des résidus alimentaires, datés du Ier siècle ap. J.-C., ont été recueillis dans la Saône. Ils contenaient, pour la plupart, une préparation à base de millet. En Suisse, à Augst, l’analyse du contenu de centaines de fragments de pots, s’échelonnant sur une période du Ier au IIIe siècle, atteste la présence pour 60% de bouillie de céréales. D’autres découvertes archéologiques à Lyon, à Saint-Paul-Trois-Châteaux mettent en évidence la consommation de froment cuit dans un liquide.
Mais attention à ne pas faire de raccourcis trop hâtifs. Ce n’est pas parce la chimie moléculaire arrive à identifier, aujourd’hui, les molécules de protéines de céréales, que l’on ne mangeait aux époques très anciennes que des bouillies.
Un autre argument est avancé par les scientifiques. En Gaule, on fait le lien entre le développement de marmites hautes à fond rond qui apparaissent dès le Néolithique Moyen avec la préparation de la bouillie. Ce type de pot à cuire (avec ou sans couvercle) se maintient dans les cuisines jusqu’au Ier siècle ap. J.-C. Bien que les pots soient multifonctions à ces époques anciennes, il semble évident pour les archéologues que la préparation de bouillies est importante dans les habitudes alimentaires avant l’invention du pain et même après. Toutefois, ici aussi, il faut envisager un sens plus large au mot bouillie car l’on peut cuisiner dans ces pots tout aliment (viande, poisson, légumes..) qui mijote dans un liquide.
Un plat qui traverse les époques
Nos ancêtres les Gaulois ne sont pas les seuls amateurs de bouillies. Toutes les générations suivantes ont continué à l’apprécier. Aux V e -VIe siècle, la bouillie de seigle, de froment, d’épeautre ou d’orge, mais aussi de millet ou de riz sont préconisées pour la santé. On a retrouvé, dans des tombes à Cologne datées du VIe siècle, des pots contenant des restes de bouillie de millet mélangé avec du miel et de la graisse animale.
Au Moyen Âge, la fromentée est une recette à la renommée européenne : une bouillie de blé longuement cuite dans du bouillon et du lait de vache ou du lait d’amande, avec un peu de sucre.
Au XVIe siècle, de nombreuses spécialités régionales sont des bouillies : la cruchade des Landes, le milhade ou millasse du Sud-Ouest réalisée avec du millet, puis au XVIIe siècle avec du maïs. De même, dans les Cévennes, on cuisine la millasse avec de la farine de maïs.
En 1722, un certain Pierre Prion, de passage à Toulouse, remarque que les gens du petit peuple ne se nourrissent “qu’avec de la bouillie faite avec de la farine de gros millet (maïs américain)” et que “c’est un met très friand pour eux”.
Ces bouillies de céréales sont toujours mentionnées dans les livres de cuisine du XIXe siècle comme des plats régionaux : la cruchade landaise, l’escoton de Chalosse, la remote du Périgord et la gaude de Franche-Comté ou du pays bressan, la gaudine bigourdane, la broye béarnaise, la polenta jaune du pays niçois. Toutes ces bouillies sont faite à la farine de maïs. Mais on connait aussi la bouillie de sarrasin en Bretagne (le Farz), en Normandie et dans le Limousin, le meuille vendéenne à la farine de millet.
Pour en savoir plus
Apicius, L’art culinaire, Paris, Les Belles Lettres, 2010, p.235 n°174, p. 202, p.183-185.
Blanc Nicole et Nercessian Anne, La cuisine romaine antique, Grenoble, Glémat-Faton,, 1992, 223 p.
Chevillot Christian, « Manger et boire au Néolithique et aux Âges des métaux en Périgord (6 000 à 52 av. J.-C.). Céramique et comportements alimentaires » dans Du bien manger et du bien vivre à travers les âges et les terroirs, Fédération Historique du Sud-Ouest, Société Historique et Archéologique du Périgord, Pessac, Maison des Sciences de l’Homme d’Aquitaine, 2002, p 25-74.
Cougny Edmond (traduction), Moeurs et coutumes des Gaulois d’après le témoignage des historiens grecs (Ier siècle av. J.C – Ier siècle ap. J.C., Ed préparée par Yves Germain et Eric de Bussac, Ed. Paleo ,coll. Histoire-Accès direct, 2010, 147 p.
Curé Anne-Marie, « Les pratiques culinaires dans une cité de Gaule méridionale : Lattara » dans Le goût et l’alimentation dans l’Antiquité, Dossiers d’archéologie, n° 362, Mars/avril 2014, p. 24-25.
Desbat Armand, Forest Vianney, Batigne-Vallet Cécile. « La cuisine et l’art de la table en Gaule après la conquête romaine » dans Celtes et Gaulois, l’archéologie face à l’histoire. La romanisation et la question de l’héritage celtique, coll. Bibracte 12/5, 2005, p. 166-192.
Edda Bresciani, « Nourritures et boissons de l’Égypte ancienne » dans Histoire de l’alimentation, Paris, Fayard, 1996, p.47-59.
Dupont Florence, « Grammaire de l’alimentation et des repas romains » dans Histoire de l’alimentation, Paris, Fayard, 1996, p.197-214.
Flandrin J.-L., « L’alimentation paysanne en économie de subsistance » dans Histoire de l’alimentation, Paris, Fayard, 1996, p.593-627.
Flouest Anne et Romac Jean-Paul, La cuisine gauloise continue, Bibracte et Bleu autour, 2006, 253 p.
Spano Giammellaro Antonella, « Les Phéniciens et les Cartaginois » dans Histoire de l’alimentation, Paris, Fayard, 1996, p.85-99.
Sassatelli Giuseppe, « L’alimentation des Etrusques » dans Histoire de l’alimentation, Paris, Fayard, 1996, p.183-195.